Louis-Laurent Leis, la part de l’ombre.
Que laissent les choses à la lumière ? Une ombre peut-être, si précaire qu’elle en devient émouvante. Une ombre mouvante sans doute, car les choses qui traversent les dessins, les gravures ou les tableaux de Louis-Laurent Leis sont d’abord des êtres vivants, fugaces, charriés dans le flux de la manière noire de l’artiste. Et l’enjeu est, ici, comme dans le travail du géologue, d’en exhumer la matrice d’une chair disparue, l’empreinte photo-sensible où les êtres passés sont regardés pour leur part d’ombre.

Le travail intitulé Noir charbon fait écho à une autre série récente, Noir corbeau, autour des oiseaux et de leur espace d’évolution, entre les ombres de la terre et les lumières du ciel ; dans un entre-deux où Louis-Laurent Leis s’attache à saisir l’épaisseur de l’atmosphère, le trouble du sfumato, le grain profond du noir qui s’animent dans le feuillage vibratile des arbres – souvenir des chatoiements solaires de Corot, des gravures de Rembrandt ou encore dans les volutes baroques des nuages lourds de leur poids de larmes, à l’horizon des ciels ou dans le secret charnel des ombres, dans toutes ces esquisses de beaux tableaux à venir où commencent à pointer les échos atténués d’une couleur subreptice.
Dans le noir (du) charbon, Louis-Laurent Leis nous parle d’un caillou sale et luisant, d’un morceau de monde qui porte les arbres et les fossiles de mondes plus anciens ; d’un diamant dont la noirceur porte le deuil des plantes qui ont pourries dans la nuit des temps. Un charbon de bois ou un charbon de terre qui est plus qu’un objet d’études pour l’artiste : un médium de sa matière noire : car le charbon peut tenir lieu d’une belle nature morte, mais il peut aussi servir à dessiner, à tracer, à tacher, à laisser une empreinte sur la feuille et à exalter la lumière qui diffuse autour.
Le travail constant de Louis-Laurent Leis, c’est une exploration de la surface des choses, mais qui tend aussi à en dévoiler le squelette, la structure visuelle aussi bien que la construction géologique ou l’architecture du vivant. Le travail actuel de Louis-Laurent Leis confine à une cartographie du dedans, un voyage à l’intérieur des choses. Or, la carte redécoupe toujours le territoire qu’elle représente, car la cartographie induit une codification du paysage, un langage qui le raconte. Ce en quoi la démarche de Louis-Laurent Leisest profondément poétique : il s’agit bien de percer le langage caché de l’objet et, à travers lui, de capter quelque murmure du langage secret du monde, d’en saisir le flux, le parlare interno. Et comme sur la carte, le langage installe un paysage, il exprime une étendue, il épanche son ombre et il réserve le jour.
La production de Louis-Laurent Leis appelle à une connivence Kantienne entre le beau naturel et le beau artistique. Et ce qui fait le lien entre les deux est le jugement de goût, lequel se construit par l’exercice du regard. Ou plutôt par sa déambulation, entre l’ordonnancement du monde et la rêverie qui l’excède.
Car, ce à quoi Louis-Laurent Leis nous invite c’est, à travers les possibles de la « paréidolie*1 » – qui nous faisait reconnaître des visages, des monstres ou des terres inconnues dans la forme des nuages lorsque nous étions enfants – à ouvrir les yeux et à nous laisser traverser par les images premières où habite le secret du monde. Et par les rémanences qu’elle font remonter en nous. – F. Legendre, novembre 2018